Martial Raysse - Nissa Bella, 1964 au Mamac à Nice
Martial Raysse a réalisé cette œuvre appelée initialement Portrait de France en 1964.
Il s’agit du portrait de sa compagne du moment prénommée France.
Lorsqu’il se sépare de cette dernière, le tableau est rebaptisé : Nissa Bella, rendant hommage plus largement à un idéal de beauté féminin.
Il représente le visage, vu de face d’une jeune femme dont le regard soutenu fait écho à un autre portrait célébrissime : La Joconde.
On peut considérer que ce tableau épouse les règles traditionnelles de la peinture que ce soit dans le choix du cadrage, de la pose et des référents historiques. Néanmoins les choix chromatiques et la technique employée sont manifestement contemporains par l’utilisation de couleurs fluorescentes, agressives et répandues au vaporisateur.
Les couleurs principales sont le rouge et sa complémentaire le vert dont le contraste chaud \ froid est nettement délimité par les contours noirs obtenus par le report photographique.
Le visage de France est imprimé sur de la feutrine qui est elle-même colorée de vert et découpée selon la technique du shaped canvas (le support épouse la forme du sujet). Néanmoins Martial Raysse superpose cette forme sur un fond, une toile teintée de rouge, créant ainsi un effet de strates voire de fragments, alternant composition et décomposition.
Lorsque Martial Raysse réalise dans le châssis une découpe qui reproduit exactement la courbure du visage dans l’ombre portée, il crée une dimension supplémentaire et questionne la notion de profondeur sans la représenter en se servant d’une mise à plat graphique, schématique, voire simplificatrice.
L’épaisseur en peinture n’est plus une illusion mais une réalité : la réalité du support et la réalité du mur qui l’accueille. L’utilisation du néon comme nouvelle matière tant pour son pouvoir coloré que pour sa luminosité devient un matériau pictural au même titre que l’acrylique ou la toile. « j’ai découvert le néon. C’est la couleur vivante, une couleur par-delà la couleur ».
La forme en cœur, certes très banale dans sa symbolique, étonne par sa matière. Ce choix entre figure familière et matière futuriste correspond à la volonté de l’artiste de trouver une position médiane entre tradition et modernité.
De plus, dans cette œuvre, l’utilisation de la photographie n’est pas un moyen de créer un effet illusionniste mais d’établir des plans. Le visage de France devient objet sur le fond coloré tout comme le tableau s’objective par rapport à la découpe sur le mur.
Par divers procédés, notamment par un parti pris plastique antinaturaliste, il accentue le côté cliché publicitaire, idéalisant le modèle comme archétype de la beauté moderne, magnifié par le néon. On parle alors de « peinture à haute tension » ou bien encore « d’orgie solaire » en référence à la côte d’azur qui reste sa principale source d’inspiration.
A l’inverse de la majeure partie des membres du « Nouveau Réalisme » identifiés comme les poètes du rebut, Martial Raysse met à l’honneur le neuf, le clinquant, le cheap et le kitsch en série comme les nouveaux constituants de la beauté moderne véhiculée par la féerie des supermarchés.
S’il n’est pas le premier à utiliser le néon dans ses compositions (cf. Fontana), il est le premier à en faire un usage aussi souple et aussi systématique. L’antagonisme entre le trait et la couleur hante le travail de Raysse. Il s’inscrit parfaitement dans l’antique querelle qui a scindé le monde de l’art depuis l’antiquité : les adeptes du Gorgias de Platon où seul le trait est affaire de l’esprit tandis que la couleur (peinture cosmétique) est chose malfaisante, trompeuse, séductrice donc immorale. « Tout ce qui orne la femme, tout ce qui sert à illustrer sa beauté fait partie d’elle-même ; et les artistes qui se sont particulièrement appliqués à l’étude de cet être énigmatique raffolent autant de tout le mundus muliebris que de la femme elle-même » Baudelaire.
samedi 19 juillet 2014
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